
MOURIR AVANT DE MOURIR
Texte de Sagesse, Yongey Mingyour RINPOCHÉ
Mon père yogi répétait une information que les maîtres de sagesse connaissaient depuis la nuit des temps : la dégénérescence organique du corps humain apporte une occasion unique de reconnaître le vrai esprit.
Au moment où la demeure de chair et de sang de l'esprit s'effondre, les couches fabriquées de l'esprit se décomposent elles aussi. L'esprit conditionné par des perceptions erronées et façonné par des tendances routinières se détache. La confusion qui a obscurci notre clarté originelle innée perd sa vitalité, en même tant que les couches de peau qui recouvrent notre corps. Grâce à la dissolution de la confusion, la sagesse rayonne.
J'avais compris très clairement que même si l'expérience de la luminosité se présente à nous, elle nous échappe le plus souvent. C'est pour cela que nous nous formons. Non pas pour l'expérience qui est un don de la nature mais afin de la reconnaître. Se former à reconnaître la nature de notre esprit nous familiarise avec la luminosité, et nous permet d'aborder la fin de notre corps sans peur.Avec la reconnaissance, nous devenons immortels.
Durant l'enseignement, nous nous engageons à vivre consciemment, nous ne ménageons pas nos efforts ni notre assiduité pour diminuer notre confusion. À la fin de notre vie, la même confusion se dissout sans effort. Les mouvements de l'esprit s'éteignent. C'est le cas de nos perceptions sensorielles mais aussi des convictions et des concepts subtils qui façonnent notre expérience et définissent notre identité.
Quand tous les cycles du corps et de l'esprit cessent de fonctionner, il ne reste que la conscience elle-même, l'espace ouvert non conditionné de la connaissance pure. Cette connaissance n'a plus d'objet.
Voilà ce qui fait la singularité du moment de la mort : il nous offre l'occasion la plus précieuse qui soit. À l'instant critique entre la vie et la mort, alors que le corps vacille au bord même de l'existence, l'absence de confusion permet l'expérience de la vacuité lumineuse.
C'est le même aspect de l'esprit que celui qui se réveille chaque fois que nous reconnaissons un interstice dans l'esprit conditionné, que les nuages de la confusion se dissipent et permettent une expérience de conscience non conceptuelle. C'est à cet instant, à l'heure de la mort, que cette pure conscience intervient d'elle-même, et les habitudes du conditionnement passé n'ont plus la force de venir l'obscurcir.
Mon corps devenu malade, sans force, j'étais prêt à mourir.
Et soudain… Boum !… Conscience et vacuité sont devenues une, indivisibles, comme elles l'ont toujours été. Mais la reconnaissance n'avait jamais été aussi complète. Le dernier lambeau de cohésion a disparu. Tout l'univers s'est ouvert et s'est entièrement uni à la conscience. L'esprit conceptuel n'existait plus. Je n'étais plus dans l'univers. L'univers était en moi. Il n'y avait pas de moi distinct de l'univers. Pas de perception ou de non perception. Pas de moi ou de non moi. Pas de direction. Pas de dedans, pas de dehors. Pas de vie, pas de mort. Les mouvements intérieurs de mes organes avaient considérablement ralenti, jusqu'à ne plus assurer qu'un fonctionnement minimal. Je comprenais encore ce qui se passait, mais ce n'était pas par le biais d'un commentaire, d'une voix ou d'une image. Ce type de connaissances avait disparu. La clarté et la luminosité de la conscience au-delà des concepts, au-delà de l'esprit fixe sont devenues le seul véhicule du savoir.
Je n'étais plus attaché à la moindre impression de corps ou d'esprit distincts. Il n'y avait plus aucune séparation entre moi, mon esprit, ma peau, mon corps et le reste du monde. N'existait aucun phénomène d'un moi distinct. Des expériences se produisaient mais elles ne concernaient plus un moi distinct. Des perceptions se produisaient mais sans référence à quiconque. Pas de référence du tout. Pas de mémoire. Des perceptions mais pas de percepteur. Le moi que j'avais été récemment, malade, en bonne santé, mendiant, bouddhiste… disparaissait comme les nuages qui passent dans un ciel ensoleillé. Le sommet de ma tête s'était détaché, mon ouie, ma vision sont devenues seulement ouie, seulement vision.
Nous pouvons atteindre la réalité de l'immortalité que si nous acceptons la mort.
Comme une goutte d'eau versée dans l'océan devient indistincte, illimitée, indiscernable tout en continuant d'exister, mon esprit a fusionné avec l'espace. Il n'était plus question de moi qui voyait les arbres car j'étais devenu arbres. Les arbres et moi ne faisions qu'un ; les arbres n'étaient pas objets de conscience, ils manifestaient la conscience. Les étoiles n'étaient pas objets de reconnaissance mais reconnaissance elle-même. Aucun moi distinct n'aimait le monde. Le monde était amour. Mon foyer parfait. Vaste et intime. Chaque particule était vivante d'amour, fluide, flottante, sans barrières. J'étais une particule vivante, sans esprit d'interprétation, la clarté au-delà des idées. Dynamique, énergétique, voyant tout. Ma conscience ne se dirigeait vers rien et pourtant tout apparaissait tel un miroir vide qui reçoit et reflète en même temps tout ce qui l'entoure. Une fleur apparait dans le miroir vide de l'esprit et l'esprit accepte sa présence sans l'inviter ni la rejeter.
J'avais l'impression de voir pour toujours, de pouvoir voir à travers les arbres, de pouvoir être les arbres. Il n'y avait rien d'individuel, il n'y avait pas de perception dualiste. Pas de corps, pas d'esprit, seulement la conscience.
La tasse qui avait contenu l'espace vide s'était brisée; le vase avait été fracassé, effaçant dedans et dehors.
Jamais je n'avais connu d'union aussi intense de la luminosité. La vacuité infusait la vacuité, la béatitude de l'amour et la tranquillité.
Texte de Sagesse, Yongey Mingyour RINPOCHÉ
Mon père yogi répétait une information que les maîtres de sagesse connaissaient depuis la nuit des temps : la dégénérescence organique du corps humain apporte une occasion unique de reconnaître le vrai esprit.
Au moment où la demeure de chair et de sang de l'esprit s'effondre, les couches fabriquées de l'esprit se décomposent elles aussi. L'esprit conditionné par des perceptions erronées et façonné par des tendances routinières se détache. La confusion qui a obscurci notre clarté originelle innée perd sa vitalité, en même tant que les couches de peau qui recouvrent notre corps. Grâce à la dissolution de la confusion, la sagesse rayonne.
J'avais compris très clairement que même si l'expérience de la luminosité se présente à nous, elle nous échappe le plus souvent. C'est pour cela que nous nous formons. Non pas pour l'expérience qui est un don de la nature mais afin de la reconnaître. Se former à reconnaître la nature de notre esprit nous familiarise avec la luminosité, et nous permet d'aborder la fin de notre corps sans peur.Avec la reconnaissance, nous devenons immortels.
Durant l'enseignement, nous nous engageons à vivre consciemment, nous ne ménageons pas nos efforts ni notre assiduité pour diminuer notre confusion. À la fin de notre vie, la même confusion se dissout sans effort. Les mouvements de l'esprit s'éteignent. C'est le cas de nos perceptions sensorielles mais aussi des convictions et des concepts subtils qui façonnent notre expérience et définissent notre identité.
Quand tous les cycles du corps et de l'esprit cessent de fonctionner, il ne reste que la conscience elle-même, l'espace ouvert non conditionné de la connaissance pure. Cette connaissance n'a plus d'objet.
Voilà ce qui fait la singularité du moment de la mort : il nous offre l'occasion la plus précieuse qui soit. À l'instant critique entre la vie et la mort, alors que le corps vacille au bord même de l'existence, l'absence de confusion permet l'expérience de la vacuité lumineuse.
C'est le même aspect de l'esprit que celui qui se réveille chaque fois que nous reconnaissons un interstice dans l'esprit conditionné, que les nuages de la confusion se dissipent et permettent une expérience de conscience non conceptuelle. C'est à cet instant, à l'heure de la mort, que cette pure conscience intervient d'elle-même, et les habitudes du conditionnement passé n'ont plus la force de venir l'obscurcir.
Mon corps devenu malade, sans force, j'étais prêt à mourir.
Et soudain… Boum !… Conscience et vacuité sont devenues une, indivisibles, comme elles l'ont toujours été. Mais la reconnaissance n'avait jamais été aussi complète. Le dernier lambeau de cohésion a disparu. Tout l'univers s'est ouvert et s'est entièrement uni à la conscience. L'esprit conceptuel n'existait plus. Je n'étais plus dans l'univers. L'univers était en moi. Il n'y avait pas de moi distinct de l'univers. Pas de perception ou de non perception. Pas de moi ou de non moi. Pas de direction. Pas de dedans, pas de dehors. Pas de vie, pas de mort. Les mouvements intérieurs de mes organes avaient considérablement ralenti, jusqu'à ne plus assurer qu'un fonctionnement minimal. Je comprenais encore ce qui se passait, mais ce n'était pas par le biais d'un commentaire, d'une voix ou d'une image. Ce type de connaissances avait disparu. La clarté et la luminosité de la conscience au-delà des concepts, au-delà de l'esprit fixe sont devenues le seul véhicule du savoir.
Je n'étais plus attaché à la moindre impression de corps ou d'esprit distincts. Il n'y avait plus aucune séparation entre moi, mon esprit, ma peau, mon corps et le reste du monde. N'existait aucun phénomène d'un moi distinct. Des expériences se produisaient mais elles ne concernaient plus un moi distinct. Des perceptions se produisaient mais sans référence à quiconque. Pas de référence du tout. Pas de mémoire. Des perceptions mais pas de percepteur. Le moi que j'avais été récemment, malade, en bonne santé, mendiant, bouddhiste… disparaissait comme les nuages qui passent dans un ciel ensoleillé. Le sommet de ma tête s'était détaché, mon ouie, ma vision sont devenues seulement ouie, seulement vision.
Nous pouvons atteindre la réalité de l'immortalité que si nous acceptons la mort.
Comme une goutte d'eau versée dans l'océan devient indistincte, illimitée, indiscernable tout en continuant d'exister, mon esprit a fusionné avec l'espace. Il n'était plus question de moi qui voyait les arbres car j'étais devenu arbres. Les arbres et moi ne faisions qu'un ; les arbres n'étaient pas objets de conscience, ils manifestaient la conscience. Les étoiles n'étaient pas objets de reconnaissance mais reconnaissance elle-même. Aucun moi distinct n'aimait le monde. Le monde était amour. Mon foyer parfait. Vaste et intime. Chaque particule était vivante d'amour, fluide, flottante, sans barrières. J'étais une particule vivante, sans esprit d'interprétation, la clarté au-delà des idées. Dynamique, énergétique, voyant tout. Ma conscience ne se dirigeait vers rien et pourtant tout apparaissait tel un miroir vide qui reçoit et reflète en même temps tout ce qui l'entoure. Une fleur apparait dans le miroir vide de l'esprit et l'esprit accepte sa présence sans l'inviter ni la rejeter.
J'avais l'impression de voir pour toujours, de pouvoir voir à travers les arbres, de pouvoir être les arbres. Il n'y avait rien d'individuel, il n'y avait pas de perception dualiste. Pas de corps, pas d'esprit, seulement la conscience.
La tasse qui avait contenu l'espace vide s'était brisée; le vase avait été fracassé, effaçant dedans et dehors.
Jamais je n'avais connu d'union aussi intense de la luminosité. La vacuité infusait la vacuité, la béatitude de l'amour et la tranquillité.